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LETTRES DE NORYA A SON FILS LOMYON

 

   1ère LETTRE :

 

« Si ces mots t’apparaissent, c’est que tu es bien l’enfant que j’ai autrefois porté. Et grâce au ciel, cela signifie que tu es en vie.

Ta mère est une sorcière, une bienfaitrice. Mon acuité ne m’indique que le malheur prochain.

Les pages que tu t’apprêtes à lire sont les souvenirs que je ne pouvais emporter dans mon sépulcre. Il y a tant de choses que j’aurais aimé te dire mais hélas, je ne disposerai que de peu de temps à chaque crépuscule.

Je suis détenue depuis plusieurs mois au fond d’un donjon. Nous étions, au départ, une quarantaine de femmes, toutes enfermées dans des cellules voisines. Mais seules demeurent celles qui portent la vie.

Cela fait maintenant sept mois et dix jours que tu es en moi, ta naissance approche et je ne sais si je serai encore de ce monde pour te prendre dans mes bras. L’enfer que je vis, cloîtrée, n’est rien comparé à la détresse qui m’envahit lorsque j’ose seulement imaginer les exécrables conditions dans lesquelles tu seras élevée.

Tu feras bientôt une rencontre importante et je m’assurerai que tu t’imprègnes de toutes les informations sur sa personne pendant un court laps de temps.

Je ne peux m’attarder, le guetteur revient. Ta mère, Norya. Â»

 

   2nde LETTRE :

 

« Mon très cher enfant, sept jours se sont écoulés depuis mes derniers mots. Un seul homme, dont j’ignore encore l’identité, est à l’origine de la captivité de ces nombreuses femmes comme de la mienne.

Tu dois le savoir, tu n’es hélas pas né par amour, j’ai été abusée cruellement dans les montagnes par ce même homme, un puissant mage noir qui nous détient toutes pour la même raison, s’emparer des enfants qui naîtront de sa goujaterie.

Prends le temps qu’il te faudra pour accepter cette dure vérité, mais sache que même n’étant plus de ce monde, je t’aime et qu’une part de moi veille sur toi.

La femme blottie dans la cellule en face de la mienne a accouché hier. Elle n’est jamais revenue. Les gardes, ces affreux sots bavards m’ont permis d’apprendre qu’elle a mis au monde un garçon du nom d’Agnor avant de trépasser dans les profondeurs de cette angoissante forteresse.

Cela ne fait que confirmer le sombre destin qui m’attend. Mais ils ignorent tous mon identité. Mon témoignage, j’espère, te sera utile. Ta tendre mère, Norya.»

 

   3ème LETTRE :

 

« Ma colère fulmine en ce sombre jour. Pas un rayon de soleil n’a traversé les barreaux de nos cellules depuis deux jours. C’est maintenant certifié, l’espoir d’un possible avenir paraît s’affaiblir chaque seconde. Le maître des lieux est un tyran sans pareil.

Je commence à m’épuiser, notre pitance est réduite à un morceau de miche et une décoction. C’est tout juste nécessaire à préserver des forces pour donner la vie. Ce matin, deux femmes furent parturientes, l’attention étant concentrée sur elles, j’en ai profité pour t’écrire.

La première femme a perdu les eaux dans sa cellule, ses contractions semblaient insupportables au vu de ses cris. Néanmoins, elle refusait catégoriquement de se laisser emmener, suppliant ses bourreaux de les laisser, elle et son enfant. Impatients, ces fils de Satan l’ont rouée de coups à titre d’exemple. Elle a quand même mis au monde une fille qu’elle a désiré prénommer Nerwen. Contrairement à la mère d’Agnor, ils ont laissé cette pauvre femme dépérir dans sa cellule jusqu’au crépuscule avant qu’elle ne rejoigne le ciel dans d’affreuses souffrances. Le deuxième enfant est un garçon du nom de Gamun d’après ce que j’ai pu percevoir.

Nous ne sommes plus que trois à survivre dans les limbes. La terreur a littéralement envahi mes deux voisines, leurs sanglots sont intarissables. Nous nous accrochons au seul espoir que le souverain de Seren vienne enfin à notre secours. Sache prendre soin de ta personne. Ta dévouée mère. Norya.»

 

   4ème LETTRE :

 

« Mon tendre enfant, je suis bouleversée par la terrible nouvelle que j’apprends tout juste. Iléor est mort, j’ignore comment, j’ignore qui en est le responsable, j’ignore totalement ce qui se passe au dehors.

Seren est en danger, je le sens. Son épouse… Elle doit être plus qu’anéantie par cette perte à l’heure à laquelle je t’écris. Affligée et portant l’unique héritier au trône.

Il y a quelque chose que tu dois savoir. J’ai profondément aimé Iléor et vécu à son service depuis toute petite. Avec le temps, mes sentiments pour lui n’ont fait que s’accroître. Cependant, jamais je ne suis parvenue à atteindre son cœur, ou à être davantage qu’une belle-de-nuit à ses yeux, une simple courtisane. Il n’entendait pas faire de moi son égale.

Mes pouvoirs ne l’ont, par ailleurs, nullement épouvanté alors qu’ils terrifiaient nombre de ses sujets. Sujets qui, en dépit de ma loyauté, s’obstinaient à convaincre le Roi de m’éloigner du château. Iléor s’y était toujours refusé, peut-être par amitié.

Pourtant, dès lors que cette Amazone est apparue, le faible intérêt que le Roi me portait disparut. Il n’avait d’yeux que pour elle. Une souveraine sans égale, d’une divine beauté, mais qui tenait la sorcellerie en horreur de par son expérience. Elle me contraignit à quitter le palais pour vivre comme un ermite aux frontières de Seren.

Mais le Roi possédait un dernier souvenir de moi, un médaillon dans lequel j’avais enfermé l’ensemble de ses pouvoirs. Iléor mort, je ne puis savoir qui le détient maintenant, sachant qu’il permet à son possesseur d’avoir un pouvoir qui défie l’entendement. Iléor mort, ce médaillon t’appartient, il faut que tu le retrouves, que tu l’empêches de tomber entre les mains du Mal.

Mon espoir se meurt, j’ai la conviction maintenant que mes jours prendront fin ici, dans les ténèbres. Affectueusement, Norya. Â»

 

   5ème LETTRE:

 

« Puisant dans le peu de force m’animant, je suis parvenue à questionner les astres hier dans la nuit. Bien que fortement affaiblie, je suis heureuse d’avoir obtenu les réponses que j’espérais tant.

Ainsi tu es du sexe de la filiation. C’est un futur homme qui grandit en moi, cette nouvelle me nourrit d’allégresse et fait réapparaître la vigueur et l’espoir ayant disparu ici-bas. J’ignore l’âge que tu dois désormais avoir atteint, mais j’espère que tu n’en voudras pas à ta mère d’être dénuée de parents.

Les larmes me viennent dès lors où j’ose seulement espérer voir mon fils grandir. Il nous est définitivement impossible de nous échapper de ce donjon ! Et l’obscurité quotidienne semble chaque jour nous accoutumer aux limbes qui nous envahiront alors même que le temps nous est compté.

Telle la pâle lueur apparaissant au crépuscule, j’ai repéré le nom idéal pour un fils destiné à un avenir aussi incertain que prometteur. Lomyòn. Mon fils, n’oublie jamais l’amour que te porte ta mère. Impuissante à cette heure, je vais te faire part d’une fortune que tu devras utiliser sans complaisance.

Aussi, en suivant les traces des eaux pérennes, par-delà l’unique lac de Seren, le plus précieux des souhaits se verra sans doute exaucé. Condition étant que ton âme résonne d’indulgence, de bonté et que le péril ne soit pas appréhendé. La juge naturelle, impétueuse et éternelle, mon amie, Odurinelle te sera d’une assistance parfaite.

Découverte supplémentaire, j’ai également forcé les esprits afin d’avoir une vision significative. Il m’est apparu l’accouchement de ma rivale de cœur, l’héritier de Seren sera confié à de fidèles serviteurs. Mais c’est hélas tout ce dont j’ai pu extraire des corolles incertaines du futur. Si cet héritier demeure confiné par-delà les horizons, tu te dois de le retrouver ! Assure-toi de ses bonnes intentions et vois s’il détient le médaillon amplificateur…

Une des deux femmes restantes vient de hurler, son travail semble avoir commencé, ils seront nombreux à accourir. A très vite mon bien aimé fils, Norya. Â»

 

   6ème LETTRE :

 

« En espérant qu’Odurinelle ait pu t’éclairer sur la route à suivre, je profite de cette minute pour te donner des nouvelles de la dernière naissance. L’impécunieuse femme a trouvé la mort en tentant de s’échapper d’après ce que j’ai pu comprendre. Son corps git maintenant quelque part dans ce sombre bois.

Sa fille est semble-t-il saine et sauve, elle porte le nom adorable de Slauwen.

Dès lors où j’ai le malheur de penser à tous ces enfants, tes frères et sœurs à demi-sang, mon cœur paraît s’étrangler. J’aime à souhaiter que vous vous découvrirez et vous unirez afin de venir à bout de l’homme indigne d’être votre père.

A ce jour, j’ignore ce que deviendra Seren, mais je tends à croire que tu te démèneras pour trouver l’héritier, pour sauver le royaume et ses habitants du Mal et de la barbarie. Une vie à se battre pour les autres, est une vie qui vaut la peine d’être vécue.

Avec tout mon amour, par-delà les temps et les Lunes. Ta Mère, Norya. Â»

 

   7ème LETTRE :

 

« Je suis tellement affaiblie que je peine à t’écrire, la seule chose qui me tient en vie est de savoir que tu vivras mon fils. Tu vivras et je ne pourrai qu’être fière de toi.

J’arrive à terme et ne vais pas tarder à perdre les eaux, je le sens. La dernière compagne de cellule restante à mes côtés, semble avoir été emportée par la folie. Selon les gardes, le seigneur de ce lieu de malheur hésite à mettre fin à sa vie de même qu’à celle de l’enfant.

Je suis incapable d’user de ma magie tant la force m’abandonne. Je souhaite seulement que tu arrives en bonne santé, aussi je ne tente plus de chercher qui est le responsable de toutes ces horreurs. Tu devras chercher par toi-même. Le devoir et la confiance sont les valeurs de ma famille. Si ce n’est pas par vengeance, arrête cet homme pour que d’autres n’aient pas à souffrir les atrocités, la douleur et les pleurs que nous toutes, avons expérimentés ici-bas.

Aujourd’hui encore, je pleure de ne pouvoir t’offrir une vie paisible, mais seulement parsemée d’embuches. Je pleure d’avoir à te laisser, désarmé face à ton destin. Je pleure de ne jamais avoir la chance de te prendre dans mes bras pour t’embrasser. Et cette dernière pensée me déchire le cÅ“ur !

Je t’aime, Lomyòn, mon fils, mon sang. Ne l’oublie jamais. Â»

 

   8ème LETTRE:

 

« Lomyòn, mon fils… Esquintée je suis… Tu étais un très beau nouveau-né, un magnifique petit garçon. Comme j’aurais voulu te tenir dans mes bras quelques minutes, rien qu’un bref instant... Mon bébé. Je n’ai pu que t’entrevoir partir dans les mains d’un homme. Avec calme et sérénité, tes yeux ne m’ont pas quittée jusqu’à ce que tu disparaisses.

Mon corps a hélas épuisé ses réserves en larmes. Comme j’aimerais te pleurer encore, toi que j’ai perdu. Toi que je ne reverrai plus…

N’en veux pas à ta mère qui se laisse délibérément mourir. Ils ne me nourrissent plus et m’attachent chaque jour quelques heures, me frappent, espérant me voir trépasser rapidement. Je veux mourir, mais j’ignore quelle déité me maintient encore en vie…

Je tenais à t’informer du second frère que tu as eu hier, un peu avant de naître. Il se prénomme Terslan. Sa mère et moi aurons été de très étroites compagnes de cellule à travers ces gouffres, et jusqu’à notre fin, dans la mort.

Je t’aime et t’aimerai éternellement Lomyòn. Demeurant à jamais, telle une ardente étoile, près de ton cÅ“ur. Norya. Â»

 

 

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